Un secret de polichinelle

Dans mon article paru sur le site de l’UNADFI, je donne comme exemple d’une proximité douteuse entre professeurs et élèves, dans les écoles Steiner-Waldorf, le cas d’une relation illicite entre un jeune enseignant et une élève mineure, relation dont j’ai été le témoin lorsque j’étais moi-même enseignant dans une de ces institutions :

« J’ai par exemple été témoin, lorsque j’enseignais dans l’une de ces écoles, d’une relation illicite qui s’était nouée entre un enseignant et une élève des grandes classes. Ils avaient commencé à sortir ensemble lorsque l’élève était en 10e classe (Troisième) et cette histoire a perduré jusqu’en 12e classe (Première ou Terminale). Tous les professeurs des classes du Lycée, dont certains étaient membres du Comité Directeur de l’école, étaient au courant. Comment auraient-ils pu l’ignorer, puisque ce professeur et cette élève avaient fini par vivre ensemble dans le même appartement. Lorsque ce professeur a quitté l’école après avoir obtenu sa certification lui permettant d’enseigner ailleurs, tous les professeurs des grandes classes, sauf un qui a sans doute voulu rester prudent mais qui savait comme les autres ce qu’il en était, sont venus à une petite fête dans cet appartement. Entre enseignants et élèves chacun faisait semblant d’ignorer ou de cacher ce qui n’était qu’un secret de polichinelle. »

Dans le cadre de cet article, dont le but était de brosser un portrait général du fonctionnement de ces écoles, je ne pouvais m’appesantir sur ce fait. Pourtant, ce dernier mérite d’être raconté dans le détail. Non pas pour jeter la pierre à un enseignant, ni même à une école en particulier, mais pour décrire jusqu’où peuvent s’enliser ceux qui se sont empêtrés dans une stratégie de dissimulation.

En effet, l’histoire de cette élève et de ce jeune enseignant d’une école Steiner-Waldorf, ainsi que de l’équipe pédagogique qui s’est rendue complice, pendant des années, de cette relation illicite revêt, par certains aspects, des traits tout autant comiques que lamentables. Je vais la raconter telle qu’elle m’a été transmise par les élèves eux-mêmes, ainsi que par les enseignants, qui m’avaient mis dans la confidence, complétant ainsi mes observations personnelles :

Leur histoire commença lors d’un voyage de classe de 9ème classe (3ème), par une lettre que la jeune fille, qui n’avait pas froid aux yeux, adressa à son enseignant. La lettre commençait ainsi :

 » Je suis une élève. Accepteriez-vous de sortir avec une élève ? »

Puis la lettre se terminait par une demande de réponse, en indiquant une pierre dans le jardin, sous laquelle le jeune enseignant pourrait laisser sa missive. Sa première réponse fut négative. Manque de chance, celle-ci fut trouvée par d’autres élèves et l’histoire fit sensation dans l’ensemble de la classe, si bien qu’il fallu organiser une réunion plénière, en présence des deux enseignants accompagnateurs, pour exiger que cessent les commérages.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais la jeune fille revint à la charge et l’enseignant finit par céder à ses avances. Il alla aussitôt en parler à sa collègue, celle qui l’avait accompagné lors du voyage de classe. Quand celle-ci appris cette relation, sa seule réaction fut de lui dire :

« Oh, comme je suis jalouse ! »

On ne sait pas bien si la jalousie de cette enseignante concernait l’histoire d’amour de son collègue, ou bien le collègue lui-même. Probablement un peu les deux. Ensuite, le jeune enseignant alla en parler à un membre de la direction de l’école (Collège Interne), qui avait pour charge de superviser les « Grandes Classes » (le Lycée). Celui-ci ne fit rien, garda l’information pour lui et, à ma connaissance, ne la transmis pas officiellement au « Collège Interne », choisissant de « couvrir » son collègue.

Cependant, comme la plupart des membres du « Collège des Grandes Classes », une partie de l’école fut rapidement au courant, ainsi que les membres du « Collège Interne » qui avaient des adolescents scolarisés au Lycée, lesquels leur transmettaient en permanence toutes les informations de cet ordre.

En 11ème classe (1ère), cette histoire illicite faillit éclater publiquement. En effet, certains après-midis, le jeune enseignant et la jeune fille avaient pour habitude de se retrouver dans un grand parc. Celui-ci étant situé à une certaine distance de l’école, les « amoureux » pensaient pouvoir s’y embrasser copieusement sans crainte d’être découverts. C’était sans compter sur le fait que, dans ce Lycée, de nombreux élèves faisaient l’école buissonnière, et qu’il s’en trouva un pour les surprendre. L’événement fit alors le tour des élèves des Grandes Classes :

« Untel a vu M. G. et M. dans le parc de X en train de sortir ensemble ! »

Aussitôt alertée, l’équipe des « Grandes classes » se réunit et décida de la stratégie à tenir. Les élèves furent réunis et un « démenti » leur fut asséné, tandis que l’élève qui avait apporté l’information fut renvoyé séance tenante de l’établissement en raison, officiellement, de son absentéisme, qui jusque là n’avait pourtant dérangé personne.

L’année suivante, au cours du voyage classe de 12ème (Terminale), la situation devint encore plus délicate à gérer. En effet, le jeune enseignant fit partie du binôme chargé d’accompagner la classe au cours du voyage organisé dans un pays étranger, qui avait lieu traditionnellement cette année là. Le problème était le suivant :

– l’autre enseignante, qui accompagnait la classe, avait connaissance de cette relation, mais voulait absolument que personne ne se rende compte qu’elle était au courant, car elle faisait partie du « Collège de Direction » de l’école (alors appelé « Collège Interne ») ;

– une partie de la classe était au courant, mais l’autre non ;

– les deux « amoureux » avaient une envie de satisfaire leurs désirs sexuels de plus en plus impérieuse, ce qui les poussaient, par exemple, à se retrouver dans les vestiaires de la piscine, ou dans une chambre commune la nuit.

La jeune fille devait donc attendre que tout ses camarades se soient endormis pour quitter le dortoir et aller rejoindre son amant dans sa chambre, puis revenir discrètement, avant qu’ils ne se réveillent en ne remarquent son absence. Pendant tout ce voyage, elle fut épuisée, ne manifestant plus aucun intérêt pour les éléments culturels de la ville qu’il s’agissait de visiter (une grande capitale culturelle européenne). Une partie de la classe dut également dépenser beaucoup d’énergie et déployer des trésors d’ingéniosité pour dissimuler à l’autre partie (qui l’ignorait) la relation qui avait lieu, presque sous leur nez. Tandis que l’accompagnatrice dû jouer le rôle d’une potiche d’une extrême naïveté pour feindre de ne pas voir tout ce qui avait lieu en sa présence.

Je crois pouvoir dire que cette histoire amoureuse perturba grandement la scolarité de la jeune fille, qui ne pensait plus qu’à cette affaire et aux manières de continuer à dissimuler quelque chose dont la rumeur grandissait de jour en jour. Pour la préserver et faire ce qu’ils croyaient être l’aider, l’ensemble des enseignants des Grandes Classes lui donnèrent des notes au-dessus de son niveau réel, y compris son amant, qui enseignait une matière clef de son cursus. D’ailleurs, lorsqu’il arrivait à ce dernier de mettre à son amante une note en dessous de la moyenne, celle-ci se vengeait en privé en lui imposant l’abstinence pendant quelques jours, lui faisant ouvertement la gueule. Son tempérament caractériel, plongé dans une situation par essence confuse, ne lui permettait absolument plus de faire la part des choses entre le scolaire et le privé.

Ce n’est que le jour de la fin de la scolarité de l’élève en question que les professeurs du Lycée décidèrent d’organiser une fête chez les deux amants, qui avaient donc loué un appartement ensemble depuis deux ans, avec l’assentiment des parents. J’y étais. En effet, pour l’ensemble de l’équipe enseignante du Lycée, ce couple était devenu leur « protégé », et personne ne voyait le moindre problème déontologique ou moral à ce fait.

On voit donc, à travers cette histoire, comment dans une école Steiner-Waldorf peuvent se mettre en place des stratégies de dissimulation où l’on ment sciemment aux autres, ou l’on se ment à soi-même et où l’on devient le complice d’un mensonge quasiment institutionnalisé, que l’on soit professeur où élève. Et plus grave encore, comment se créent une ambiance et un état d’esprit tellement éloignés des règles de la vie normale que plus personne ne voit les problèmes déontologiques que posent certains comportements qui, normalement, devraient être répréhensibles, voire condamnés par la loi. A mon sens, l’habitude du mensonge et de la dissimulation, qui est propre aux écoles Steiner-Waldorf et à l’Anthroposophie, n’est pas étrangère à ce qui s’est passé et à la manière dont se sont déroulés les événements : le fait de vivre de manière permanente dans cet état d’esprit pour cacher l’Anthroposophie finit également par se manifester dans tout les autres domaines et toutes les autres circonstances de la vie.

A propos gperra

Professeur de Philosophie
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