La pédagogie Steiner-Waldorf et les enfants surdoués

Depuis quelques temps, les écoles Steiner-Waldorf visent directement les enfants dits surdoués. Par l’intermediaire d’un réseau de pédiatres et de therapeutes gravitant autour de ces écoles, de nombreux enfants surdoués sont orientés vers ces structures scolaires dites alternatives. Forts de leur autorité médicale, ces professionnels de la santé expliquent aux parents d’enfants surdoués que le cadre scolaire classique de l’Education Nationale serait contre-indiqué pour des enfants à l’intelligence superieure à la norme, tandis que les écoles Steiner-Waldorf leur offriraient un cadre plus adapté permettant leur épanouissement. Dernièrement, la presse a relayé cette croyance en présentant la nouvelle école du Domaine du Possible, à Arles, comme un établissement offrant des opportunités de cette sorte.

Le présent article a pour but de mettre en garde les parents contre cette publicité mensongère. En effet, sans parler du fait que les écoles Steiner-Waldorf pratiquent un endoctrinement insidieux a l’Anthroposophie (une doctrine ésotérique et mystique du New-Age), ce qui devrait être en soi dissuasif, leurs pratiques pédagogiques sont à mon sens particulièrement peu recommandables pour qu’on appelle la « douance ». Cet avis est fondé non seulement sur mon propre vécu des écoles Steiner-Waldorf, pour y avoir été élève et professeur, mais également sur le suivi qu’il m’a été possible de réaliser sur d’anciens élèves présentant cette particularité et ayant effectué une partie importante de leur scolarité dans ces structures. Mon constat est celui d’une totale inadequation entre de tels enfants surdoués et les ecoles Steiner-Waldorf, pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, en raison de la structure répétitive et ritualisée de l’enseignement dispensé. En effet, la pédagogie Steiner-Waldorf procède autant qu’elle le peut à une ritualisation de ses contenus. Autrement dit, on répète au moins cent fois la même chose, à de multiples occasions : savoirs, idées, contes, chansons, gestes, poèmes, récitations, etc. Car les pédagogues Steiner-Waldorf donnent volontiers une structure « mantrique » à tous ce qu’ils font, conformément à leur appartenance à l’Anthroposophie, nouveau syncrétisme religieux issu notamment des pratiques méditatives de l’Hindouisme, où les mantras jouent precisement un grand rôle. Ainsi, les élèves de ces écoles sont intégrés dans une multiplicité de répétitions de tous ordres, qui peuvent aller jusqu’à leur donner l’impression que le temps lui-même épouse les formes d’un éternel retour, voire qu’il s’abolit. Dans ce contexte, l’intelligence des élèves, loin d’être stimulée, est au contraire comme invitée à s’endormir, à s’éteindre. Autrement dit, quand ils sont intelligents, ils s’y ennuient à mourir ! C’est pourquoi les enfants surdoués, parfois également appelé « zèbres », sont incroyablement malheureux dans ce genre d’écoles, ou rien n’est fait pout stimuler leur curiosité intellectuelle et leur soif d’apprendre. Au contraire, tout est basé sur des répétitions (tout est ritualisé, même les goûters) qui sont faites pour endormir la pensée et soumettre l’intelligence par la ritualisation.

Ensuite, l’inadéquation entre cette prétendue pédagogie et la douance se manifeste dans le rapport même des professeurs Steiner-Waldorf à la connaissance, et la manière dont ce rapport s’exprime dans leur pratique pédagogique. En effet, les pédagogues Steiner-Waldorf sont des anthroposophes. Or, pour l’Anthroposophie, le monde est connu. Je veux dire par là que leur gourou, Rudolf Steiner, a construit un système de pensée révélant selon lui les ultimes secrets de l’Univers. La connaissance n’est pas pour eux un mouvement partant vers l’infini, un cercle allant s’elargissant, mais un processus de retour à une Révélation qu’il s’agit de confirmer, ou d’explorer. La culture est pour eux une donnée, un corpus établi et définitif. Bien qu’il existe pour les anthroposophes des mystères à percer, comme par exemple l’origine de certaines entités spirituelles qui existaient avant la naissance du Temps, ou les reincarnations de tel ou tel « grand initié », ceux-ci doivent être résolus par le biais de la vénération, non de la réflexion. En effet, comme l’affirme Steiner dans son ouvrage intitulé l’Initiation, ce n’est pas par la pensée et l’exercice critique de que se dévoilent les secrets du monde, mais par une attitude de vénération, voire d’adoration. La pensée critique est perçue par l’Anthroposophie comme antagoniste à la vénération. Elle est donc mal vue par les pedagogues de ces écoles. Ainsi tout sera fait pour que les élèves développent prioritairement leur capacité de vénération plutôt que de réflexion.

De plus, ces ecoles sont à mon sens contre-indiquées pour les enfants surdoués en raison de la défiance profonde des pédagogues anthroposophes à l’égard de l’intelligence. Il est ainsi très fréquent que, au Jardin d’enfants, dans le Primaire, ou même jusqu’au collège, un enfant un peu plus intelligent que la moyenne soit taxé de « trop éveillé » par son professeur (lire à ce sujet le témoignage d’une maman intitulé Notre expérience d’une année à l’école Steiner). Car son intelligence est surtout perçue comme un symptôme inquiétant, bien plutôt que comme une qualité.  Ainsi, les enfants qui posent des questions ou s’interrogent sont très mal acceptés et on leur fait payer cher ces « impertinences », surtout quand l’enfant ose interroger ses professeurs sur le sens de certaines spécificités pédagogiques qu’on l’oblige à pratiquer, comme « l’eurythmie », ou la « peinture sur couches », ou encore la récitation quotidienne des « paroles », pour ne citer qu’elles. Cette défiance profonde des pédagogues anthroposophes à l’égard de l’éveil des facultés intellectuelles est d’ailleurs ce qui motive l’une des spécificités de la méthode Steiner : ne pas apprendre à lire aux enfants avant l’âge de 7 ans. Ce comportement étrange des professeurs Steiner-Waldorf s’explique par un élément de leur doctrine ésotérique, qui concoit l’intelligence comme négative en soi. Rudolf Steiner dit même explicitement que l’intelligence devient progressivement, à partir de notre époque, une puissance qui conduit directement les êtres humains à dégénérer dans le Mal, à devenir mauvais et à sombrer plus tard dans une « race de méchants ». C’est la raison profonde pour laquelle les élèves surdoués qui arrivent dans ces écoles sont appréhendés avec une certaine hostilité de la part du corps professoral. On les considère en effet comme « ahrimaniens »,  c’est-à-dire envahis ou même possédés par la puissance maléfique qui gouverne notre modernité, à savoir Ahriman en personne (nommé parfois aussi Satan), lequel est l’instigateur de la formation de la « race des méchants » que nous avons évoquée. Précisons que pour Steiner et les anthroposophes, cette race de méchants qui se dessine actuellement et dans laquelle se reincarneront les individus incapables de s’ouvrir à la spiritualité anthroposophique est destinée à la perdition dans une époque future désignée par le chiffre 666, correspondant à la sixième époque de la sixième réincarnation de notre planète. À ce moment-là, la race des méchants sera condamnée à vivre sur une sorte de satellite maudit, de planète errante, sans aucun espoir de Salut. La doctrine qui sous tend cette pedagogie a donc en haine la pensée et l’intellectualité, ainsi que les enfants chez qui ces qualités se manifestent particulièrement, car ils constituent les prémisses d’une race qui sera l’adversaire de la « race des bons », dans laquelle se reincarneront bien sûr les anthroposophes. À ma connaissance, cette haine peut aller jusqu’à des formes de maltraitance.

Tout ce qui vient d’être dit peut paraître paradoxal, puisqu’on peut observer, dans ces structures scolaires, des formes d’enseignement très éloignées du cours magistral, sollicitant au contraire la participation active des élèves en cours. Lorsque des reportages sont réalisés dans les écoles Steiner-Waldorf, on y voit en effet des enfants actifs se pressant joyeusement  pour répondre spontanément aux questions de leurs professeurs, contrairement à ceux de l’Education Nationale, restant bien souvent tétanisés par la peur de se tromper. Il est alors facile de s’extasier sur ce qu’on croit être l’expression d’une maturité intellectuelle et personnelle hors du commun que favoriserait cette pédagogie. Mais en réalité, une observation plus circonspecte s’apercevrait que le jeu des questions et des réponses qui ont lieu dans les classes des écoles Steiner-Waldorf sont toujours subtilement dirigées par le professeur. Celui-ci oriente systématiquement les réponses (et même les questions) des élèves dans un sens préétabli, qui est celui d’idées proches de la doctrine anthroposophique (Lire à ce sujet mon article Une emprise et un endoctrinement presque indétectables). Ainsi, la participation et l’activité des élèves n’est qu’apparente. Car c’est l’anthroposophe qui, derrière le pédagogue, tire les ficelles de la spontanéité des élèves et de leurs pseudo-eveils. Ceux-ci n’ont en fait pas de réelle curiosité, ni d’authentique désir de savoir, contrairement à ce que leurs réactions en cours pourraient laisser croire. Ils n’ont fait qu’intégrer, au fil du temps, les règles d’un jeu, d’une mascarade, où l’on fait semblant de se poser des questions profondes et personnelles, un jeu où il s’agit d’exprimer des réflexions en apparence personnelles et pertinentes, dont l’origine n’est cependant pas à chercher dans la pensée des élèves, mais dans les stratégies manipulatoires de leur enseignant. La promiscuité organisée entre les professeurs et leurs élèves permets certes à ces derniers de faire montre d’une grande confiance en eux face à des adultes… Mais à quel prix ?!

En outre, un élément qui contribue selon moi à rendre totalement contre-indiquée la pédagogie Steiner-Waldorf aux enfants surdoués est le fait que l’univers culturel qui est présenté dans ces écoles est incroyablement restreint. Ce sont en effet toujours les mêmes références qui sont présentées et commentées par les pédagogues Steiner-Waldorf (références qui sont aussi celles de l’Anthroposophie). C’est ce qui explique que le goût de la lecture soit si peu présent chez leurs élèves. Dans ces écoles, on ne développe pas le goût de la découverte, de l’exploration, etc. Au contraire, on y cultive une grande paresse à aller vers ce que le monde peut offrir en matière culturelle.

Enfin, un dernier élément allant dans le sens d’une contre-indication est le fait que l’Anthroposophie développe très souvent, chez les enseignants Steiner-Waldorf, une forme de psycho-rigidité exacerbée. Celle-ci est rarement immédiatement perceptible, car elle est masqué par un abord chaleureux. Mais elle est bien présente. Ils ont en quelque sorte leur esprit crispé sur certaines idées qu’il considèrent comme sacrées. Ainsi, même lorsque le professeur Steiner-Waldorf est capable d’une grande érudition, ce qui est parfois le cas, il n’en demeure pas moins que cette érudition se conjugue paradoxalement à une fermeture complète de son esprit.

Un exemple permettra de mieux comprendre le présent propos. Parmi les rares personnes du milieu anthroposophique que je suis encore amené malgré moi à croiser de temps en temps, il y a un collègue professeur de Philosophie. Celui-ci a eu son Capes à peu près en même temps que moi et a continué sa carrière dans l’Education Nationale, tout en faisant parti à titre privé du Conseil d’administration d’une école Steiner-Waldorf, comme c’est son droit, même si une question de cohérence et d’honnêteté pourrait être posée en ce qui le concerne. Ses capacités de séduction, son sens inné des mondanités et l’aveuglement de sa hiérarchie lui ont même permis, aux dires de certains de ses collègues,  d’être dans ce qu’on appelle « les petits papiers ». Toutefois, cette promotion interne doit selon moi être attribuée également à l’érudition et à la forme de pensée extrêmement vivace qu’il est par ailleurs capable de deployer. Mais chez cet individu, issue d’une illustre lignée d’anthroposophes, ces qualités se conjuguent paradoxalement avec une phénoménale rigidité mentale. Lorsque je l’entend parfois s’exprimer, je suis stupefait du dogmatisme qui semble imprégner chacun de ses propos. Il semble totalement inféodé à certaines idées pseudo-philosophiques de Rudolf Steiner, qu’il a cependant l’habileté de toujours présenter maquillées, sous l’habillage d’autres mots que le vocabulaire anthroposophique, ce qui lui permet de ne pas se faire repérer. Ainsi, lors d’une journée de formation académique, il lui est arrivé d’interpeller vertement un intervenant, pourtant grand spécialiste et chercheur universitaire en sciences cognitives, sous le prétexte qu’il avait cru (ou plutot voulu) percevoir dans ses propos une négation de la liberté humaine, dont Rudof Steiner se fait le chantre et l’apologue dans l’un des ouvrages sacrés de l’Anthroposophie. Ce  faisant, ses remarques acerbes reprenaient presque textuellement la forme argumentative d’un chapitre de la Philosophie de la Liberté, ouvrage du gourou en question. Consciemment ou inconsciemment, il répétait les mots mêmes de son Maître. Lorsque je l’entends proférer des affirmations de cette sorte, je suis souvent glacé d’entendre dans ses paroles la dureté et la suffisance qui ont été la tonalité des voix de son père, et de son grand père avant lui, prêchant plus qu’enseignant, comme si cette anthroposophie familiale avait fini par triompher de sa singularité. Car c’est ainsi que raisonnent les professeurs anthroposophes : pour eux, même dans le domaine des sciences et de la Philosophie, il y a les bons et les méchants, les amis et les ennemis. La culture est, à leurs yeux, non pas un univers constitué d’hétérogénéités respectables, mais un champs de bataille où celui qui n’a pas choisi le bon camps est un adversaire à abattre.

Ainsi, à travers cet exemple précis, nous pouvons voir quel type d’intelligence sont amenés à fréquenter les élèves des écoles Steiner-Waldorf : il ne s’agit pas nécessairement d’inculture ! Il peut même s’agir d’une grande érudition accompagnée d’une prodigieuse finesse d’esprit, comme le notait la journaliste du Nouvel Observateur en ce qui concerne Henri Dahan, le directeur de l’école du Domaine du Possible, à Arles. Mais ces qualités sont toujours pilotées, en sous-main, par une extrême rigidité cachée de la pensée, qui s’est comme fossilisée autour de dogmes anthroposophiques. Pour les parents qui ont des enfants surdoués, il est très important qu’ils aient les moyens de se rendre compte du type d’individus qui auront la charge éducative de leurs enfants. Car cette combinaison paradoxale d’une grande érudition (lorsqu’elle est présente) et d’une extrême rigidité de la pensée peut placer leur progéniture dans une situation d’autant plus douloureuse à vivre qu’elle sera difficile à démêler. D’un côté, ils admireront la profusion des connaissances et la dextérité avec lesquels leurs professeurs manient ces dernières. De l’autre, ils sentiront avec angoisse une rigidité cachée, exerçant sournoisement sa violence sur leur propre pensée. Ce contact, d’après mon expérience, sera bien loin d’être épanouissant. Au contraire, l’intelligence des enfants se sentira en situation de danger. Et c’est en adoptant des stratégies de survie qu’elle cherchera à se maintenir.

Ce n’est pas la première fois que des personnes en recherche d’une pédagogie adaptée à la douance se font abuser par les discours des écoles Steiner-Waldorf et des thérapeutes qui les orientent vers ces dernières. Au dela des discours médiatiques en vogue, il est important d’aller regarder derrière la belle façade ! Cet article avait pour ambition d’inciter à le faire.

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