Pierre Rabhi, la Biodynamie et l’Anthroposophie

Parmi les personnalités en vogue actuellement, on trouve Pierre Rabhi. Celui-ci est devenu, en quelques années, une figure de proue de la défense de l’environnement, se posant en « serviteur de la Terre-Mère », ainsi que l’indique le sous-titre ronflant donné récemment à son ouvrage « Du Sahara aux Cévennes, itinéraire d’une homme au service de la Terre-Mère ». France Inter a consacré une émission entière à cet homme, dont on trouve actuellement les ouvrages mis en avant dans de nombreuses librairies.

La Terre-Mère… Concept étrange et à la mode dont on ne trouve pourtant nulle part la trace dans la première version de l’ouvrage en question. Concept new-age dont il est facile de se revendiquer, cette déesse issue de la mythologie grecque ou des cultures amérindiennes n’ayant pas su gérer commercialement son image.

Ce que l’on sait moins, ce sont les liens qui existent entre Pierre Rabhi, la Biodynamie, les Écoles Steiner-Waldorf et l’Anthroposophie. Certes, lorsque Rabhi est interrogé, il affirme qu’il n’est pas anthroposophe. Mais cela ne veut rien dire, car beaucoup d’anthroposophes l’affirment également (lire à ce sujet mon article Qui sont les anthroposophes ?). Pourtant, dans un de ses livres, il déclare avoir pratiqué la Biodynamie, la méthode d’agriculture magico-religieuse de Rudolf Steiner, qu’il qualifie lui-même de « méthode de sorciers » (sic), sans que cette appellation ne soit une critique dans sa bouche. Il fut donc très tôt initié, ainsi qu’il le raconte dans son ouvrage intitulé Du Sahara aux Cévennes, à ce mode d’agriculture basé sur les fondamentaux de l’occultisme ésotérique de Rudolf Steiner. Or, selon moi, il est absolument impossible d’enseigner comme il le fait la Biodynamie sans une adhésion foncière à la doctrine ésotérique de Steiner. Il faut même pour cela s’être engagé dans des pratiques cultuelles et magiques de l’Anthroposophie. Certes, certains agriculteurs ou vignerons pratiquant la Biodynamie ne sont souvent pas très au clair sur l’ensemble de l’arrière-fond ésotérique de cette méthode, embobinés par l’habillage pseudo-scientifique avec lequel leurs formateurs leur ont parfois présentées les choses, déployant un savant étalage de connaissances rationnelles mixées subtilement avec des croyances anthroposophiques. Mais Pierre Rabhi sait quant à lui parfaitement ce qu’il fait et adhère foncièrement à l’ésotérisme steinerien.

De plus, Pierre Rabhi n’a pas découvert tout seul cette méthode. Toujours dans le même ouvrage, dans l’édition de 1984, il déclare en effet fréquenter certains amis « pour qui la réincarnation est une évidence » (sic). En l’occurrence, il s’agit très probablement des anthroposophes, pour qui l’idée de « Karma » est au cœur de leurs croyances. D’ailleurs, c’est à peu près vers l’époque de la première édition de ce livre que la promotion de Pierre Rabhi a commencé dans le milieu anthroposophique et dans les écoles Steiner-Waldorf, jusqu’à atteindre un point culminant il y a quelques années, à l’occasion du lancement de son mouvement Colibris. En effet, à cette époque, lors de la première édition de son livre, lorsque j’avais 16 ans, mon professeur d’Histoire-Géographie, Bodo von Plato, qui devait par la suite devenir l’un des principaux dirigeants de la Société Anthroposophique Universelle, me recommanda chaudement la lecture de l’ouvrage de Pierre Rabhi mentionné plus haut.

Or il faut savoir que les anthroposophes ne font jamais en vain la promotion d’une personnalité en apparence extérieure à leurs cercles. Le caractère profondément méfiant de ces derniers à l’égard de ce qu’ils appellent le « monde extérieur » en marche vers la « décadence », selon leurs propres termes, ne les autorise guère à accorder de crédit à quiconque appartient à la société civile contemporaine. S’ils le font, c’est donc qu’ils ont de bonnes raisons de le faire ! Et que les personnes en question sont en réalité très proches de leur doctrine, comme c’est le cas par exemple pour le sculpteur Joseph Beuys, qu’ils citent autant qu’ils peuvent. Cependant, le fait que ces personnalités soient en apparence extérieures à leur mouvement leur procure une caution intéressante, qu’ils pourront brandir le cas échéant.

Avoir dans leur poche quelqu’un qui épouse leurs thèses sans trop l’afficher leur permet en outre de faire un travail de consolidation interne. Qu’est-ce à dire ? Pierre Rabhi donne fréquemment des conférences dans des institutions liées à l’Anthroposophie, comme les écoles Steiner-Waldorf. Il y est invité et profite de ces occasions pour convaincre les élèves qui assistent à ses prestations de certaines de ses idées… qui sont en réalité très proches de celles des anthroposophes ! Le procédé est remarquablement habile : plutôt que d’amener directement l’Anthroposophie aux élèves, ce qui serait un peu trop visible, on leur assène des idées en apparence externes, mais qui y ressemblent de près. Quand j’étais élève dans une école Steiner-Waldorf, notre professeur de Biologie avait usé de ce procédé en citant abondamment dans ses cours les travaux pseudo-scientifiques de Rupert  Scheldrake : la théorie des « champs morpho-génétiques » de ce scientifique anglais saugrenu lui permettait en réalité d’amener mine de rien la conception steinerienne d’un « monde éthérique », qui y ressemble fortement. De même, lorsque Pierre Rabhi vient parler aux élèves des écoles  Steiner-Waldorf de la « Terre-Mère », il bénéficie d’un public où l’hypothèse que la Terre serait un grand organisme cosmique vivant a déjà été instillé de façon subliminal, comme le recommande Rudolf Steiner dans ses « Conseils » pédagogiques. Parler en ce sens est donc tout bénéfice pour lui, comme pour les pédagogues anthroposophes : tandis que Pierre Rabhi trouvera dans ces écoles un auditoire pré-sensibilisé à ses propres conceptions, les pédagogues anthroposophes recevront une forme de caution externe à des idées qu’ils n’avaient pu jusqu’ici aborder qu’en sous-main auprès de leurs élèves. Si je m’autorise ici à dénoncer ce stratagème, c’est en raison du fait qu’on m’a raconté en détails l’une des conférences que Pierre Rabhi a donné à l’école Steiner-Waldorf de Verrières-le-Buisson, devant les élèves des « Grandes Classes », il y a quelques années. D’ailleurs, cette accointance avec les écoles Steiner-Waldorf est signifié par le fait que son mouvement figure sur la liste des amis et soutiens de la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf. Qu’il l’ai fait ou non en connaissance de cause, je considère que Pierre Rabhi a donc participé, avec d’autres, au processus d’endoctrinement à l’Anthroposophie qui a lieu dans ces écoles. Car les pédagogues anthroposophes sont très forts pour instiller certaines idées de manière inconsciente dans l’esprit des élèves, en particuliers des plus jeunes, comme je l’ai montré dans un autre article. Cependant, le fait de rendre ces idées anthroposophiques conscientes lors de l’adolescence requiert toute leur prudence : que ces idées puissent être amenées en pleine lumière par d’autres qu’eux-mêmes, sans prononcer le mot « Anthroposophie », arrange bien leurs affaires !

Chacun a certes le droit d’avoir les amis et les fréquentations qu’il veut. Si Pierre Rabhi veut côtoyer des anthroposophes et soutenir les écoles Steiner-Waldorf, nul ne songera à l’en empêcher. Cependant, les amis que nous avons n’en disent-ils pas long sur ce que nous sommes ? Les réseaux dans lesquels nous insérons notre action ne colorent-ils pas cette dernière ? Quand un homme dont le destin flirte avec la politique – jusqu’à prétendre peut-être aux plus hautes fonctions de représentation de notre État ? – a inscrit une partie importante de son parcours de vie dans une forte proximité avec les anthroposophes et leurs institutions, cela ne devrait-il pas davantage interroger les journalistes ?

A propos gperra

Professeur de Philosophie
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