La formation des enseignants à la pédagogie Steiner-Waldorf

La formation des enseignants à la pédagogie Steiner-Waldorf

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Témoignage d’un ancien étudiant

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De mars 2005 à juillet 2007, j’ai suivi la formation dispensée dans le principal institut Steiner-Waldorf de France proposant une formation pour devenir professeur Steiner-Waldorf. Aujourd’hui, il me semble utile de dire quelques mots au sujet de cette « formation » et de décrire ce que je peux en comprendre à présent que j’y vois plus clair sur les événements que j’ai vécu au sein du milieu anthroposophique.

La formation avait lieu un week-end par mois et sa durée, à l’époque, était de quatre ans. Il s’agissait d’une nouvelle formule  venant se substituer à une formation initiale à temps plein prévue sur deux ans. Cette dernière, trop onéreuse pour des étudiants qui ne pouvaient pas se la payer sans travailler, ni l’effectuer tout en travaillant pour se la payer, avait progressivement été désertée. Aujourd’hui, la formation en week-end a lieu sur trois ans seulement. Son coût était d’environ 1700 Euros par an. La plus grande partie fut à ma charge, l’école où j’enseignais n’acceptant de verser qu’une somme dérisoire pour m’aider à la payer. Il en fut de même pour les autres enseignants en poste qui avaient décidés de suivre cette formation. Ils en étaient pour leurs frais, quand bien même le salaire qu’il recevaient de la part de leur institution était déjà très faible. Nous nous retrouvions donc à travailler pour toucher un salaire dont une bonne part était reversé à une autre institution de pédagogie Steiner-Waldorf, afin de payer des formateurs qui bien souvent s’avéraient être… nos collègues. Je mentionne ce fait, car il est à mon sens parfaitement représentatif du circuit économique fermé qui a tendance à se constituer autour des écoles Steiner-Waldorf. Ainsi, les parents payent une scolarité pour leurs enfants. Ces enfants travaillent pour préparer les kermesses et autres fêtes de l’école où seront vendus des objets ou des bougies qu’ils ont confectionnés. Les parents achèteront ces cadeaux fabriqués par leurs enfants, mais l’argent ira à l’école, à la firme Weleda ou aux maisons d’éditions anthroposophiques qui tiennent des stands à cette occasion. Ainsi, tout en étant salariés d’une école Steiner-Waldorf, nous subventionnions un institut Steiner-Waldorf à travers nos frais de scolarité.

La première année de formation était arrivé un bon nombre de personnes qui n’avaient qu’une vague idée de la pédagogie Steiner-Waldorf et savaient très peu de choses au sujet de l’anthroposophie. Ils étaient juste venus avec le désir d’une formation professionnelle alternative dans le milieu de l’enseignement, de la prise en charge des tout-petits, ou encore, bien souvent, sans aucun projet précis. D’autres, cherchaient à se reconvertir et venaient de milieux très éloignés de l’enseignement. La plupart n’avaient donc aucun expérience pédagogique. Un grand nombre de ces étudiants étaient des personnes fragiles, un peu perdues dans leur existence. C’étaient principalement des femmes. La formation dispensée leur proposait une sorte de cadre communautaire dans lequel elles avaient l’impression de trouver une sorte de famille élargie. Tout était d’ailleurs fait pour donner cette impression : repas en commun, chants en commun, activités artistiques en groupe, moments d’échanges et de partage, etc. Au tout début, la doctrine anthroposophique n’était amenée qu’à pas feutrés par les formateurs. Il n’y avait ainsi qu’une seule heure par week-end consacrée à l’étude d’un ouvrage de Steiner. Il s’agissait de Nature Humaine ou de Théosophie. Mais ces livres sont si abstraits et ésotériques dans leurs propos qu’ils passaient au-dessus des têtes de 90% des étudiants. Ces derniers étaient certes impressionnés par le caractère apparemment savant des œuvres étudiées et des commentaires subtils que nous en faisait notre formateur, mais ils n’en retenaient quasiment rien. Certains ne se rendirent même pas compte que nous étudions depuis plusieurs semaines des chapitres traitant de la doctrine de la réincarnation et du karma. Pour beaucoup, ces cours étaient un mauvais moment à passer, tellement cela leur semblait difficile et abscons. Ce n’était pas mon cas, puisque, au contraire, la maîtrise des concepts était mon fort. Bien souvent, je fus le seul de ma promotion à répondre à notre formateur lorsque celui-ci nous interrogeait et sollicitait notre propre réflexion.

Ce n’est donc pas par le biais de la pensée que l’anthroposophie était apportée aux différents étudiants qui faisaient cette formation, mais bien plutôt par le biais d’habitudes qui furent progressivement instillées dans la vie du groupe. Par exemple, au début de chacune des réunions consacrées à un temps d’échanges, une étudiante proche des formateurs proposa « spontanément » de lire un verset du Calendrier de l’âme de Rudolf Steiner. Or ce genre de lecture au début de chaque réunion n’est ni plus ni moins qu’une coutume des anthroposophes, pratiquée dans presque toutes les « branches » et les « groupes de travail » de la Société Anthroposophique. Comme la plupart des étudiants ne connaissaient pas cette coutume religieuse anthroposophique, ils ne virent pas d’objections à ce qu’ils prenaient pour une sorte de récitation poétique. Puis, peu à peu, s’instaura également la coutume de lire ces strophes mantriques en allemand, en plus du français, toujours conformément à la coutume des anthroposophes. Dans tous les domaines et à chaque occasion possible étaient ainsi mise en places des caractéristiques comportementales des anthroposophes,  sans cependant annoncer la couleur et dire clairement qu’il s’agissait de rentrer dans des rituels communautaires anthroposophiques.

Mais c’est surtout au niveau de notre façon de penser que s’opéraient les changements les plus subtils et les plus profonds. Nous étions en effet constamment sollicités par nos formateurs pour évoquer notre ressenti, notre intériorité. On nous demandait à toutes les occasions, comme après des exercices d’Eurythmie, d’exprimer des émotions nébuleuses. Beaucoup d’étudiants se prêtaient au jeu et se lançaient dans l’expression confuse de sentiments ou de sensations quasiment mystiques au sujet de ce qu’ils éprouvaient – ou étaient sensés éprouver – au cours de leur formation. Pour se faire une idée précise de ce qui se passait au cours des deux premières années de formation, il convient de tenter de décrire les types d’exercices qui y étaient proposés et les états dans lesquels ceux-ci plongeaient les étudiants. En effet, ces états étaient bien souvent proches de la limite du point de vue psychologique. Il n’était pas rare qu’à la fin d’un cours, plusieurs étudiants se mettent à fondre en larmes, ou à quitter la salle pour cacher leur trop grande émotion. Mais au moment des échanges, les formateurs interrogeaient ceux qui avaient eu de tels comportements et leur demandaient de décrire, devant tout le groupe, les émotions qui les avaient envahis. On était donc beaucoup plus proches du psychodrame collectif que d’une formation à l’enseignement proprement dite. Il faut s’imaginer ce que peut produire sur une personne le fait de devoir partager un vécu intime et bouleversant sous le regard d’une collectivité : la personne a véritablement l’impression d’être mise à nue, ramenée à un état de fragilité qui la pousse nécessairement à s’abandonner aux autres.

Qu’est-ce qui avait donc provoqué de tels états ? Cela tenait principalement aux exercices que nos formateurs nous faisaient pratiquer. A première vue, il s’agissait de simples exercices de théâtre, de chant, d’art de la parole ou d’eurythmie. Mais à chaque fois que nous les réalisions, les formateurs nous demandaient d’aller chercher au fond de nous-mêmes des souvenirs intimes, liés à notre enfance, voire à notre petite enfance. Ils nous demandaient même parfois de pousser plus loin encore cette recherche dans les profondeurs de nous-mêmes, jusqu’à pousser des cris primales, ou animales. Ce qui sortait alors de nos profondeurs inconscientes nous surprenait et nous bouleversait. Certains ne le supportaient pas. Les plus jeunes étaient parfois profondément déstabilisées. J’ai ainsi vu une étudiante rentrer dans des états et se mettre à tenir des discours inquiétants, ouvertement suicidaires. D’ailleurs, presque toutes les personnes dont la tranche d’âge se situait dans la vingtaine n’ont pas pu poursuivre la formation et se sont arrêtées à la fin de la deuxième année, voire de la première année, très perturbées. Seules les étudiants qui avaient passé la trentaine pouvaient tenir le choc de ce qu’on leur demandait de faire.

Mais quel était l’intérêt de nous plonger continuellement dans de tels états, que l’on retrouverait plus facilement dans des séminaires sur l’hypnose ou de méditation transcendantale, mais peu probablement lors de formations normales à la pédagogie ? Officiellement, il s’agissait de nous amener à vivre les états et les émotions que traversent les enfants et les adolescents au cours de leur développement. Mais en réalité, nos formateurs observaient les réactions de chaque étudiant et repéraient ainsi ses faiblesses profondes. Ils avaient ainsi des clefs pour agir sur lui de manière à le transformer de la manière qu’ils le souhaitaient. Ainsi, quelque chose dans notre esprit avait été invité progressivement à abaisser ses barrières et à laisser le champs libre pour les subtiles manipulations que pouvaient désormais opérer les formateurs anthroposophes. Cela pouvait se manifester par une capacité d’emprise opérée par le biais de choses apparemment insignifiantes, comme des gestes, des paroles toutes simples ou des regards adressés aux étudiants. Ou par des entretiens intimes lors desquels les formateurs Steiner-Waldorf évoquaient certaines faiblesses profondes des étudiants. Tôt ou tard, lors d’une sorte de moment de choix intérieur dont les individus étaient à peine conscients, quelque chose en eux finissait par craquer, par abdiquer leur volonté propre. Leurs êtres entraient en état de soumission. Cela se faisait sans heurts et sans bruits, sans même que l’intéressé n’ait l’impression d’avoir abandonné son libre-arbitre. Je vais tenter de donner un exemple de ce genre d’abdication intérieure. Un jour, ma compagne anthroposophe, qui venait de commencer également cette formation en tant que future jardinière d’enfants, revint de l’institut en me disant qu’elle avait failli tout arrêter, mais qu’elle s’était ressaisie et était désormais certaine de poursuivre jusqu’au bout. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait émis en ma présence des doutes au sujet de cette formation et, de manière générale, au sujet des écoles Steiner-Waldorf et de l’anthroposophie, qui avaient constituées son seul environnement durant toute son enfance et son adolescence. Chaque fois, je l’avais encouragé à continuer. Comme je lui demandais pourquoi elle avait songé à tout arrêter et qu’est-ce qui l’avait convaincu du contraire, elle me raconta la séance qu’elle venait de vivre :

« Nous étions toutes les futures jardinières rassemblées autour de notre formatrice. Chacune était invitée à s’exprimer à tour de rôle au sujet de la pratique artistique que nous venions de vivre. Les unes après les autres, elles se sont mises à exprimer leurs intenses sensations intérieures avec un air d’extase et une confusion mystique qui m’ont donné à penser que j’étais chez les fous. J’ai failli claquer la porte. Mais à ce moment précis, j’ai croisé le regard de ma formatrice, et j’ai vu qu’elle avait compris mon trouble. Elle m’a pris sous sa protection et j’ai su que je pouvais continuer ma formation en ayant un  statut différent des autres. »

Et elle avait raison. Je pense que c’est effectivement ainsi que sont repérées puis séduites les personnes qui suivent cette formation avec une intelligence supérieure au reste du groupe. Car de telles personnes, les formateurs Steiner-Waldorf savent qu’il faut s’atteler à les tenir psychiquement d’une autre manière. Il faut leur faire comprendre qu’à elles, on ne demandera pas d’abandonner leur capacité de penser pour devenir des êtres sans volonté propre. Il faut leur signifier qu’elles feront partie du petit nombre de ceux qui pourront un jour diriger les autres. C’est pourquoi ces personnes seront appelées plus tard à devenir des dirigeantes des institutions Steiner-Waldorf. Car, tandis qu’une partie de leur psychisme a accepté de jouer le jeu, une autre n’est pas dupe. Ce sont certes des êtres profondément divisés, mais redoutables dans leur capacité à jouer un double jeu. C’est ce qui permet que ces personnes deviennent des interfaces crédibles à l’égard de la société, car elles ne sont pas privées de leur raison au même titre que les professeurs Steiner-Waldorf ordinaires. Elles peuvent encore sauver les apparences et garder un pied dans la réalité de la société. Ce qui leur permet de duper les autorités de tutelle, les inspecteurs ou les personnes du « monde extérieur » quand cela est nécessaire, conformément à ce que préconise Rudolf Steiner lui-même dans les Conseils donnés aux professeurs de la première école de Stuttgart :

« Il faut se faufiler. Il faut être conscient que c’est nécessaire au moins pour atteindre notre but, parler aux gens, et intérieurement les duper. » (p. 266)

Mon ex-compagne est effectivement devenue, quelques années plus tard, dirigeante d’une crèche parentale Steiner-Waldorf. Pour ma part, lorsque j’ai été admis à la formation, cela suscita une sorte de réunion de crise au sein de l’équipe de l’institution concernée, comme je devais le découvrir plus tard grâce à des indiscrétions de l’une des formatrices. Beaucoup craignaient en effet de m’accepter, en raison de ma trop grande connaissance de l’anthroposophie :

« Pouvons-nous accepter Grégoire Perra dans nos cours et dans notre formation, demanda le dirigeant de l’institution, alors même qu’il a lu plus de livres de Steiner que nous tous réunis ?! » demandait-il, en s’incluant dans le lot, lui qui pourtant était également dirigeant d’une maison d’édition anthroposophique.

Cette remarque peu paraître étrange, ou simplement flatteuse, tant qu’on a pas bien compris ce qu’est véritablement cette institution. En effet, comment peut-on craindre la venue de quelqu’un qui possède une connaissance approfondie de ce qui va être l’objet de sa formation ? Au contraire, cela devrait être perçu comme un avantage. Mais il faut bien comprendre que les institutions de formation à la pédagogie Steiner-Waldorf n’ont pas tant pour mission de dispenser un savoir que de procéder à des conversions. C’est une sorte de transformation totale de la personne qui s’opère en quatre ans dans ces instituts Steiner-Waldorf. A la fin, elle n’est plus elle-même. Elle est devenue un anthroposophe. Non pas qu’elle finira par adhérer nécessairement à la Société Anthroposophique ! Mais elle aura adopté les caractéristiques intellectuelles, sociales et comportementales des anthroposophes (Lire à ce sujet mon article intitulé Qui sont les anthroposophes ?).  Quand je discutais de cet objectif avec certains de mes formateurs, je pu constater que ceux-ci en étaient tout-à-fait conscients. Certes, ils donnaient à ce processus de dépossession de soi et d’emprise un autre nom, parlant de « faire naître en soi le pédagogue intérieur », de « réaliser son karma », ou d’autres choses du même tonneau. Mais au bout du compte, l’étudiant avait tellement changé que son entourage ne le reconnaissait plus. Bien souvent, il avait d’ailleurs décidé de couper les ponts avec ce dernier. Le processus était particulièrement accentué les deux dernières années, au cours desquelles tout ce qui avaient été amené de manière progressive et séduisante au début de la formation était à présent martelé continuellement dans les esprits pour que cela s’imprime au fer rouge. Il ne s’agissait alors même plus de penser, ni de ressentir, mais d’obéir. C’est pourquoi je pense que cette formation s’apparente, par le processus de transformation psychique qu’elle fait vivre à ceux qui la suivent, à une forme d’emprise sectaire insidieuse particulièrement grave. Avec le recul, je considère que ce qui s’y passe est tout simplement alarmant.

Beaucoup de personnes partirent en cours de route et ne terminèrent pas la formation, malgré les sommes qu’elles y avaient investies. Quelque chose au fond d’elles-mêmes vivaient mal ce qui était en train de se produire. Elles avaient de sérieux doutes. Mais il leur était impossible de s’en ouvrir dans ce cadre. Aussi, elles ne motivaient jamais clairement leurs départs précipités. Nous pouvions seulement sentir qu’elles étaient envahies par un profond mal-être, que nous expliquions par des faiblesses internes à se laisser pénétrer par l’esprit de la pédagogie Steiner-Waldorf et de l’Anthroposophie. J’ai ainsi vu une jeune femme s’effondrer en larme devant tous les étudiants en expliquant qu’elle était épuisée, qu’elle se sentait très mal et qu’elle voulait partir.  Ou encore, un étudiant plus âgé, qui avait été très impliqué dans la formation, qui annonça sont départ en disant juste du bout des lèvres qu’il se posait des questions et avait besoin de prendre de la distance. Nous n’avons plus jamais eu de leurs nouvelles. Nous n’étions pas en mesure de comprendre que c’était en réalité leurs êtres profonds et leurs personnalités véritables qui étaient en train de résister à ce que cette formation était en train d’opérer sur eux. Pour certaines d’entre elles, la seule solution fut bien souvent de graves dépressions. Ou des formes de « suicide social », comme cette jeune femme qui faisait la formation avec moi et qui, du jour au lendemain, s’est probablement engagée dans les voies de la prostitution dans le Sud de la France. Ou des passages à l’acte consistant, pour les femmes, à tomber enceinte au beau milieu de leur parcours, ce qui ne leur permettait pas de le finir. Combien en sont arrivées à des extrémités plus graves pour pouvoir échapper à cette emprise ? Je ne saurais le dire car, dès lors que nous interrogions nos formateurs au sujet de ces « disparitions », ceux-ci répondaient toujours par des phrases stéréotypées affirmant qu’ils n’avaient plus de nouvelles.

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Professeur de Philosophie
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