Rapport 2016 de la MIVILUDES : Anthroposophie, écoles Steiner-Waldorf, Pierre Rabhi, les Colibris, la NEF, la médecine anthroposophique, la Biodynamie, Weleda, Déméter, les épidémies de rougeole.

Extraits du rapport 2016 de la MIVILUDES :

« Il en va de même avec les structures liées au courant Steiner Waldorf qui sont partiellement identifiées par le public. La médecine anthroposophique ou les écoles Steiner Waldorf sont clairement associées à la philosophie et aux théories de Rudolph Steiner.

S’agissant des écoles, la prise de distance avec la philosophie du fondateur n’est pas toujours claire et les parents qui y inscrivent leur enfant ne mesurent pas tous l’ensemble des fondements théoriques qui ne sont pas sans incidence sur l’enseignement dispensé. Le public fait certainement plus difficilement le lien entre les théories anthroposophiques de R. Steiner et l’agriculture et la viticulture « biodynamiques » et le label Demeter.

Quant à la marque de produits cosmétiques Weleda, « pionnière de la cosmétique naturelle et bio, acteur incontournable du marché de l’homéopathie et de la phytothérapie […] fidèle depuis plus de 90 ans à ses principes fondateurs », peu de consommateurs savent qu’elle a été créée par R. Steiner et des médecins anthroposophes. De même, la coopérative financière NEF (Nouvelle économie fraternelle), créée en France en 1970 par un enseignant et un agriculteur anthroposophes, est comme la banque GLS en Allemagne inspirée des théories économiques de R. Steiner.

Pourtant l’inspiration anthroposophique est discrète, la NEF mettant en avant la transparence de sa gestion et sa démarche éthique de financement de projets écologiques et d’économie sociale et solidaire.

En tissant des liens avec le mouvement des Colibris, fondé notamment par Pierre Rabhi en 2007, qui promeut les écoles Steiner Waldorf et l’agriculture biodynamique, on observe que les orientations spiritualistes et philosophiques de R. Steiner sont très répandues dans le domaine des propositions alternatives d’enseignement et plus encore dans celui de la production biologique.

Le phénomène est particulièrement notable dans le domaine de l’agriculture biologique où les méthodes et pratiques inspirées par cette philosophie prennent une part de plus en plus importante au point que dans la viticulture le terme « biodynamique » se confond avec « biologique », alors que la biodynamie n’est qu’une variante inspirée de l’ésotérisme de R. Steiner appliquée à une démarche de production biologique. (…)

 

Les adeptes de l’anthroposophie, à l’origine de nombreux foyers de rougeole dans le monde

Au printemps 2008, une épidémie de rougeole se déclare au sein d’une école anthroposophique affiliée à l’association Steiner-Waldorf à La Haye (Pays-Bas). Sur les 34 enfants atteints, 31 ne sont pas vaccinés. Peu après, une épidémie est constatée au sein d’une autre école anthroposophique du pays, provoquant 16 cas. Dans les deux établissements, le taux de couverture vaccinale avoisine 65%, quand la moyenne nationale atteint 93% (Van Velzen et al., 2008). Ces données ne concernent toutefois pas la Bible Belt, un espace géographique caractérisé par l’implantation d’une importante communauté protestante conservatrice, régulièrement touchée par des épidémies de maladies évitables par la vaccination, en raison de couvertures vaccinales insuffisantes. Néanmoins, la protection globalement élevée à l’échelle nationale explique la circonscription de l’épidémie à l’entourage proche des enfants. En guise de riposte, la municipalité de la Haye mène une campagne d’information ciblée auprès des parents d’élèves issus de ces deux établissements en proposant des vaccinations gratuites. Seules deux familles acceptent d’immuniser leurs enfants.

Cet épisode, loin d’être un cas isolé, met en évidence l’influence du mouvement anthroposophique dans des épidémies de maladies contagieuses à prévention vaccinale comme la rougeole ou la coqueluche.

Le refus vaccinal au sein du mouvement anthroposophique est d’autant plus préoccupant que ce mouvement spirituel connaît une expansion grandissante, tant au niveau de son influence sur les populations qu’à l’échelle de ses territoires d’implantation.

 

L’anthroposophie, une approche philosophico-spirituelle dans tous les domaines.

L’anthroposophie est un mouvement philosophico-religieux créé en Suisse au début du xxe siècle par le philosophe autrichien Rudolf Steiner.

Sa doctrine syncrétique emprunte à l’ésotérisme, aux philosophies orientales (karma et réincarnation), au christianisme et plus tard au New Age. Les préceptes steineriens s’appliquent à de nombreux secteurs : scolaire, à travers les nombreuses écoles Steiner-Waldorf, médical, avec le développement d’une médecine dite «anthroposophique», agricole, au sein de « l’agriculture biodynamique», et bancaire. Les personnes susceptibles d’être intéressées par les idées d’inspiration anthroposophique progressent dans ces secteurs et cela s’accompagne de pratiques consuméristes rendues possibles par la création de marques en lien avec le mouvement.

Le courant a en effet pensé son propre système de production agricole, avec l’agriculture biodynamique qui allie les principes du biologique, de l’ésotérique et de l’astral, et commercialise les produits répondant à ses exigences sous la marque de certification Demeter.

L’anthroposophie possède également son système de financement avec, en France, la société Nouvelle Économie Fraternelle (Nef), dérivée de la banque communautaire allemande GLS (créée en 1974). Le mouvement a une doctrine médicale avec la médecine anthroposophique qui s’articule autour d’un diagnostic holistique selon lequel la santé dépend d’un équilibre entre l’émotionnel, le spirituel, le mental et le physique.

Cette médecine est disponible au travers d’une large gamme de préparations pharmaceutiques et cosmétiques distribuées par le groupe Weleda. Enfin, le courant de pensée est aussi impliqué dans le milieu éducatif avec les écoles Steiner-Waldorf, dont la première est fondée en 1919. L’enseignement dérivé de l’anthroposophie insiste sur le développement personnel, le spiritualisme cosmique et l’ésotérisme.

 

Le mode de scolarisation : un passage formateur de la résistance vaccinale

On dénombre actuellement un millier d’écoles Steiner-Waldorf dans lemonde, dont plus de 700 en Europe où le tiers de ces établissements est implanté en Allemagne. En France, l’anthroposophie compte officiellement 1250 adhérents et probablement plusieurs milliers d’adeptes discrets.

Le quart d’entre eux se situe en Alsace où la situation frontalière, les racines culturelles, historiques et linguistiques communes avec la Suisse alémanique (lieu d’origine du courant) ainsi que la proximité de la ville de Bâle, laquelle accueille le siège de la Société anthroposophique (le Goetheanum), y ont facilité la stabilisation du mouvement. On comprend alors que les premières écoles Steiner françaises trouvent leur ancrage en Alsace à partir de 1946, d’abord à Strasbourg (Bas-Rhin), puis à Colmar (Haut-Rhin). La multiplication de ce type d’établissements fait écho à l’émergence, dans les années 1920, du mouvement international pour l’Éducation Nouvelle signant la remise en cause des méthodes d’apprentissage traditionnelles. Particulièrement soucieuses de l’épanouissement de l’enfant, ces nouvelles pédagogies développent des méthodes éducatives fondées sur l’apprentissage par l’expérimentation en insistant sur l’autonomie de l’enfant. Le réseau français s’est progressivement étoffé pour comprendre une vingtaine d’écoles officiellement affiliées à l’association Steiner-Waldorf à ce jour.

Misà part le foyer alsacien historique, on note une implantation importante dans le sud-est du pays et notamment dans les départements de forte tradition protestante.

Sous l’effet de l’expansion du mouvement anthroposophique ces dernières années, de nombreuses études épidémiologiques, anthropologiques et sociologiques menées après l’apparition d’épidémies de maladies prévisibles par la vaccination ont mis en évidence que les parents adeptes de ce courant de pensée sont moins enclins que les autres à vacciner leurs enfants. Cela s’est vérifié en Allemagne (Wadl et al., 2011), aux Pays-Bas (Van Velzen et al., 2008; Harmsen et al., 2012), en Begique (Sabbe et al., 2011), en Suède (Alm et al., 1999; Byström et al., 2014), en Suisse (Zuzak et al., 2008), en Autriche (Kasper et al., 2009), au Royaume-Uni (Duffell, 2001) et aux États-Unis (Sobo, 2015) où près de 20% des écoles Steiner sont situées en Californie. L’élément le plus saillant de ces publications est la convocation par les enquêtés de leur volonté de « laisser faire la nature », les maladies infantiles étant perçues par ces parents comme essentielles pour le développement mental et physique de leur(s) enfant(s). Les écoles Steiner-Waldorf ne sont pas les seules à accueillir une importante part d’enfants non vaccinés. Les enquêtes épidémiologiques soulignent également l’implication, dans des épidémies de rougeole, d’autres écoles à pédagogies alternatives. J’ai rencontré au cours de mes recherches un père de famille ardéchois qui m’a expliqué avoir retiré son enfant d’une de ces écoles, jugeant que le projet pédagogique n’était pas celui qu’il espérait. Ayant perdu confiance envers l’Éducation nationale après avoir « souffert dans le système classique», il n’a pas hésité à débourser 2400 euros de frais de scolarité annuels pour assurer une bonne éducation à son enfant. Il m’a par ailleurs expliqué avec désarroi que la mère de l’enfant avait dû accepter de travailler quelques heures par semaine au sein de l’établissement pour combler les frais de cantine s’élevant à une centaine d’euros par mois. Lors de notre entretien, il a soutenu que le choix d’une éducation en dehors du système classique s’accompagnait, pour lui et pour les parents qu’il côtoyait, d’une vision bien précise de la santé :

À l’école, les parents vont voir un médecin dans la Drôme qui va partager leurs idées pour tel ou tel acte. Ils ne vont pas là-bas pour obtenir l’avis de quelqu’un. Le médecin en question leur fournit des attestations de contre-indication pour ne pas faire vacciner les enfants au cas où la préfecture les contrôle. […] ils vont aussi voir un magnétiseur, moi-même à l’époque j’avais trouvé un médecin qui m’avait fait une contre-indication. […] Dans ce milieu, vacciner est perçu comme une faiblesse du corps : si tu te vaccines tu vas devenir faible! Alors on suit le même régime alimentaire, le même mode de vie et on a la même spiritualité, comme si c’était une force.

Ce témoignage est d’un grand intérêt pour la compréhension des phéno-mènes de capillarité que mobilise la résistance vaccinale. Il illustre notamment qu’en matière d’éducation comme dans le domaine de la santé et des vaccinations, les individus reproduisent les comportements du milieu auquel ils s’identifient.

En conclusion de cette première partie je tiens à rappeler que, entre 2006 et 2016, près de 270000 cas de rougeole ont été signalés en Europe où la maladie a provoqué 73 décès selon l’OMS. La description de certains groupes sociaux impliqués dans les récentes épidémies de rougeole, en France et ailleurs en Europe, a le plus souvent montré que les épidémies se sont diffusées dans des réseaux de populations non vaccinées en raison de leurs convictions religieuses ou philosophiques. Ces cas ne sont pas isolés et dessinent des tendances de l’idéologie anti-vaccinale.

Parallèlement, on constate une augmentation du refus et de l’hésitation envers les vaccins en population générale. Cela s’explique par une imbrication de déterminants collectifs et individuels qui prennent place dans des contextes politiques, sociétaux et médiatiques qu’il convient désormais de décrypter. »

Retrouvez le rapport complet de la MIVILUDES.

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Professeur de Philosophie
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