Quand Rudolf Steiner expliquait des phénomènes qui n’existent pas, par Jean-François Theys

Steiner explique des non-phénomènes

par Jean-François THEYS

(Article également disponible à cette adresse : http://jf.bizzart.biz/ArticlesPDF/Steiner_explique.pdf)

Anthroposophie : science de l’esprit ou science de l’imaginaire ?

Steiner est tout de même très fort ! Non seulement sa conception de l’univers est complètement fausse, comme je l’ai montré dans un article précédent, mais il parvient même à expliquer au moyen de sa science de l’esprit des phénomènes qui n’existent pas. Il avait tellement confiance en sa méthode et en sa conception du monde qu’il ne prenait même plus la peine de vérifier si le phénomène existait factuellement bel et bien avant de l’expliquer spirituellement. C’est pourtant le premier pas de la méthode scientifique et une chose essentielle sur laquelle Descartes attire l’attention dans les débuts de son « Discours de la méthode » :

« Le premier [précepte à observer] était de ne recevoir jamais une chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle : c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. » [Descartes, Discours de la Méthode, seconde partie,  Ed. Garnier-Flammarion, 1966, p.47.]

C’est somme toute une revanche pour Descartes, dont Steiner s’est souvent moqué.

Voici quelques exemples :

La couleur de Saturne

Steiner explique pourquoi Saturne a un aspect bleuté dans le ciel nocturne. Or c’est faux ! Saturne, comme on peut le voir à l’œil nu, tout comme avec une lunette astronomique d’amateur, montre une couleur jaune-ocre orangée. En fait, Steiner était persuadé que Saturne, étant une répétition de l’Ancien Saturne, devait aussi être constitué de chaleur et était obscur. Steiner s’est conformé à la théorie des couleurs de Goethe : un objet obscur vu à travers la clarté  doit paraître bleu. D’où son affirmation erronée.

[Rapport de l’homme au monde des étoiles – GA 219 – 26 nov. 1922 – p.29]

[Rapport de l’homme au monde des étoiles — 9 juin 1923 — p. 91 et 94]

[Les Hiérarchies spirituelles et leur reflet dans le monde physique – GA 110 – 17 avril 1909, 8ième conférence, éd. Triades 1983 – p.150-151]

On pourrait croire que c’est un cas isolé, mais ce n’est pas le cas.

Le rouge excite-t-il les taureaux ?

Ailleurs, Steiner nous explique, longuement et spirituellement, pourquoi la couleur rouge excite les taureaux. Pas de chance encore une fois, car cette histoire du rouge excitant les taureaux c’est du pur folklore. Car, en réalité, c’est à peine si les taureaux perçoivent la couleur rouge. Steiner explique de nouveau le pourquoi et le comment d’un phénomène inexistant. [30] [voir La vie de l’homme et de la Terre – Essence du christianisme – 21 février 1923 – p. 50.]

Un éléphant ça trompe énormément

Citons Steiner pour commencer :

« Lorsque la mort approche — c’est la particularité des pachydermes — ces animaux la sentent venir d’une manière particulière par leur peau épaisse. (…) Leur instinct les pousse à regagner des grottes. Or nous ne cherchons pas les éléphants dans les grottes.  Si on les y cherchait, nul doute que, dans les régions où ils vivent, nous en trouverions des restes. On ne trouve en revanche rien en terrain découvert. » [L’homme et la nature — GA 352, 7 janvier 1924 – p.17]

Très bien, mais voilà, les cimetières d’éléphants, c’est un mythe ! Ça n’existe pas ! Steiner en rajoute même en prétendant doctement que, si on ne trouve pas de cimetière d’éléphants, c’est parce que ces derniers vont mourir dans des grottes ! D’abord il faudrait des grottes d’une taille conséquente. Mais surtout, je crains qu’il n’y ait guère de grottes dans la savane. Steiner admet aussi le mythe de la mémoire fantastique des éléphants, laquelle n’est pas en réalité meilleure que celle d’un chien, ou de certains oiseaux.

Et ce n’est pas un poisson d’avril

Ou Steiner déclare des choses abracadabrantes :

« Les œufs de poisson ne peuvent pas se développer dans l’eau douce, pour cette raison les poissons de nos fleuves, dont l’eau est douce, vont frayer en mer. » [Santé et maladie – GA 348 – 20 décembre 1922 – p. 157]

On peut se demander comment font les poissons des lacs et des étangs pour se reproduire alors ? De plus certains poissons de mer, comme le saumon, remontent les fleuves pour venir se reproduire dans les eaux douces !

Tiens, ça sent l’azote par ici !

« Vous n’avez qu’à penser à ce qui, comme l’œuf, vient du corps des animaux, — nous en avons récemment parlé —,  et se met à devenir nauséabond. C’est l’azote. Seulement dans l’air, l’azote ne sent pas mauvais, car il est lié de façon adéquate à d’autres substances. » [L’homme et la nature, GA 352 — 16 février 1924, p.175]

L’azote est un gaz inodore, qu’il soit lié dans l’air ou non.

L’ivresse de la vigne

« Si l’alcool — c’est quelque chose à quoi les gens ne font pas assez attention — était nocif pour le corps physique, ça se passerait très mal pour la vigne, car la vigne dispose aussi d’un corps physique. La vigne est totalement ivre, — c’est dû au fait qu’elle contient beaucoup d’alcool — mais son corps physique n’en souffre absolument pas. (…) L’alcool présent dans la vigne a déjà un corps astral. » [L’homme et la nature, GA 352 — 16 février 1924, p. 176]

On se demande si ce n’est pas Steiner qui avait bu un verre de trop ici. L’alcool est le résultat d’une fermentation des sucres, et ne devrait pas être présent dans la vigne elle-même. Et de fait aucune analyse ne mentionne la présence d’alcool dans la vigne.

Les coups de grisou dans les mines de charbon

Les positions du Soleil et de la Lune relativement aux constellations provoquent les coups de grisou dans les mines affirme Steiner. [voir Rythmes dans le cosmos et dans l’être humain — GA 350 — 2 juin 1923 – p. 51]

Eh bien non, n’importe quoi ,encore une fois !  Le grisou est un gaz très inflammable, pour l’essentiel constitué de méthane. C’est une étincelle ou une flamme qui provoquent l’explosion du méthane, accumulé à certains endroits dans les mines.

Le pire et le plus lamentable dans tout cela, c’est que de nombreux anthroposophes admettent ces âneries car, du moment que Steiner l’a dit, cela ne peut être que vrai !

Il faut croire que ses disciples contemporains étaient sérieusement myopes ou sous influence, pour ne pas lui avoir signalé ces grossières erreurs. Au vu de certains exercices donnés par Steiner, on pourrait croire que l’anthroposophie avait pour tâche de développer le jugement, l’esprit critique. Mais ce qui en a résulté, c’est une confiance aveugle en une soi-disant autorité clairvoyante, une sorte d’hypnose collective aliénante. L’anthroposophe bon teint est aliéné parce que ce n’est plus lui qui pense, mais Steiner qui pense à sa place, si l’on peut dire. On pourrait croire qu’il n’en est pas ainsi en raison du fait que l’on trouve des écrits critiques d’anthroposophes. Mais si on y regarde bien, l’esprit critique dont ils font preuve est exclusivement tourné vers ce qui n’est pas conforme aux idées de Steiner. S’étant enfermés dans une cage dorée de concepts anthroposophiques mystifiants, dans une conception du monde hermétique qui est censée pouvoir tout expliquer, ils ne peuvent plus juger ou décoder le monde qu’à travers les grilles de cette cage.

Jean-François Theys
24/9/2013

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