La spécificité sectaire de l’Anthroposophie

Depuis deux ans, je suis amené à participer à des colloques sur les sectes ou les dérives sectaires, en ma qualité d’ex-adepte et de spécialiste de la question de l’Anthroposophie, ou des écoles Steiner-Waldorf depuis qu’est paru sur le site de l’UNADFI mon témoignage intitulé : L’endoctrinement des élèves à l’Anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf. Et je le fais volontiers, car tel est mon devoir de témoin !

Celui qui vient d’être organisé ce 27 septembre 2014 (lien) par Jean-Claude DUBOIS, Président du CCMM de la Région Val de Loire, dans la ville de Bourges, avec des intervenants aussi prestigieux que Renaud MARHIC, brillant spécialiste du New-Age, et Serge BLISKO, Président de la MIVILUDES, à côté desquels je me trouvais à la tribune, rassemblant un auditoire nombreux et attentif, fut un de ces rendez-vous qui font désormais partie de mon existence. Ce que j’y apprend est toujours passionnant, parce que les mécanismes que j’y entend exposer par les spécialistes touchent parfois de très près ce que j’ai pu observer au cours de mes trente années passées dans le milieu anthroposophique. Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’éprouver chaque fois un malaise, une crainte sourde qui m’étreint. Car, en entendant les intervenants, je ne peux me défaire de la pensée qu’une spécificité absolument unique est à l’oeuvre dans l’Anthroposophie ! Une spécificité qui lui permet de se démarquer suffisamment en apparence des autres mouvements, alors qu’en réalité elle est selon moi de même nature qu’eux.

Quelle est donc cette spécificité qui me fait craindre de voir l’Anthroposophie passer finalement entre les mailles du filet de la vigilance sectaire ? Qu’est-ce qui permettrait à cette dernière une telle démarcation factice ?

Ceux qui observent l’Anthroposophie et ses émanations, comme les écoles Steiner-Waldorf, la NEF, ou la Biodynamie n’y perçoivent nullement, dans un premier temps, de discours ouvertement délirant sur les extraterrestres, l’étoile Sirius, les Esprits de Lumière ou les voyages astraux. On n’y détectera pas non plus d’emprise permettant des détournements d’argents importants, ni des personnes ruinées  pour avoir tout donné, ou encore des adeptes devenant des esclaves sexuelles d’un gourou dans le cadre d’orgies collectives. Nous ne sommes pas non plus en présence de groupes construisant des lieux de vie isolés barricadés par des murailles gardées d’hommes armés. Nul suicide collectif d’anthroposophes n’a fait ni ne fera la une des journaux.

Au contraire, l’Anthroposophie et ses émanations présentent toutes les apparences d’une respectabilité parfaite :

– Les écoles Steiner-Waldorf sont parfois sous contrat avec l’Education Nationale, et les spécialistes de certains Rectorat prennent ouvertement la parole publiquement pour vanter le bien-fondé de cette pédagogie, quand ce n’est pas un ancien Ministre de l’Education Nationale ;

– Les médecins anthroposophes ont fait des études classiques de médecine et sont souvent conventionnés ;

– On parle de la NEF sur France-Info tous les trois mois environ, au point de la qualifier de « première banque éthique de France » (le qualificatif « citoyenne » ayant déjà été pris par la Banque Postale et ne faisant pas autant recette) ;

– Rudolf Steiner est présenté comme un « penseur », un « philosophe » ou un « théoricien », jamais comme un occultiste délirant ;

– L’agriculture biodynamique s’est à ce point collée à l’agriculture biologique qu’elle s’est rendue indiscernable de cette dernière, tandis que l’Association d’Agriculture Biodynamique parvient à se faire héberger dans les locaux de la Chambre d’Agriculture. Les magasins Naturalia font en septembre 2014 leur « mois biodynamique » et Télérama consacre en même temps tout un dossier pour faire la promotion de cette agriculture  ;

– Les produits de la firme WELEDA sont vendus dans presque toutes les pharmacies ;

-Etc.

Toute ces caractéristiques semblent donc éloigner radicalement l’Anthroposophie et ses émanations de ce qu’on se représente habituellement comme un phénomène sectaire. Ainsi, les représentations communes que l’on se fait habituellement des sectes, jusque dans le cadre des associations qui luttent contre leurs méfaits, permettent à l’Anthroposophie d’occuper une place à part, préservée. Même dans la bouche de certains responsables, il m’est arrivé d’entendre la phrase : « Ce n’est pas vraiment une secte. »

Mais est-ce effectivement le cas ? Faut-il nécessairement réduire le phénomène sectaire à des représentations comme celles que nous avons évoquées ? N’y-a-t-il pas, en réalité, une paresse intellectuelle profonde à tenter de cerner par le biais de représentations un phénomène aussi subtil que celui des sectes, ou des dérives sectaires, là où ce serait plutôt le concept de ces dernières qui devrait guider leur appréhension ?

Penser par représentations est facile et les journalistes s’y prêtent volontiers. Avoir dans l’esprit des images comme celles de partouzes sectaires, d’embrigadement militaire, de familles ruinées, de gourou en toge et de Mandarom bariolé a certes rendu mentalement présents dans les esprits de la population française les risques de certaines dérives correspondant effectivement à ce décorum ubuesque. Mais qu’en sera-t-il pour les mouvements sectaires qui savent ne pas verser dans ce type d’extravagances, mais n’en sont pas nécessairement moins dangereux sur le long terme et sur un autre plan ?!

En effet, l’Anthroposophie ne dresse pas de murailles apparentes autour de ses constructions architecturales. Mais la coupure qu’elle opère progressivement, dans l’esprit du disciple de Steiner (et même de ceux qui ne font que fréquenter les institutions issues de l’Anthroposophie) entre le « monde extérieur » et le « milieu anthroposophique » est-il moins bien gardé qu’une place forte dotée de mitrailleuses ?

Certes, il sera impossible d’observer des grandes partouzes collectives ni de débordements pédophiles dans les locaux de la Société Anthroposophique, ou dans une école Steiner-Waldorf. Mais, dans le premier cas, la forme de séduction que les dirigeants exercent sur leurs auditeurs n’y prend-t-elle pas des formes psychiquement fortement sexualisées ?  Et, dans le deuxième cas, la promiscuité douteuse entre professeurs et élèves ne s’apparente-t-elle pas à des relations « incestuelles », faute d’être systématiquement incestueuses ?

Effectivement, nul adhérent de la NEF ne se retrouvera sur la paille en six mois après avoir donné tout ses biens pour une institution issue de l’Anthroposophie. Mais ne finit-il pas par appartenir peu à peu à un circuit économique à part, à une sorte de serpent qui grossit en se mordant la queue, où tout l’argent disponible part en direction des mêmes causes et des mêmes entreprises, qui s’alimentent mutuellement ?

Aucun médecin anthroposophe ne vous fera faire, par exemple, des séances d’hyper-ventilation respiratoire pour entrer dans un état de transe au caractère dangereux. Mais sa médecine sera-t-elle pour autant salutaire au malade qui vient le trouver et qui se fait suivre par lui durant des années, ou le conduira-t-elle à une grave détérioration de sa santé ?

Aucune école Steiner-Waldorf ne fera porter des chaînes à ses employés, ni ne les fera fouetter pour qu’ils accomplissent le travail demandé. Mais ne se seront-ils pas au bout du compte eux-mêmes tués à la tâche en explosant leur temps de présence, chaque soir et chaque week-ends, à travailler bénévolement dans leur école ?

Nul anthroposophe ne mettra fin à ses jours et s’immolant par le feu le jour de la cérémonie initiatique de la Saint-Jean dans les écoles Steiner-Waldorf. Mais celui qui vit une existence sans saveur, prisonnier de ses multiples rituels, complètement inhibé et l’esprit en déshérence a-t-il au bout du compte un sort bien plus enviable  ?

Faut-il attendre que certaines choses prennent un caractère concret et matériel afin qu’elles puissent être dénoncées comme sectaires ? Le mur d’endoctrinement que l’on bâti brique par brique dans l’esprit d’un enfant au cours de sa scolarité est-il moins épais que celui d’une forteresse bien gardée ? Le malade qui ne guérit jamais parce qu’on ne le soigne pas vraiment est-il en meilleur santé que celui à qui on a administré un poison  ?

La caractère sectaire de l’Anthroposophie est selon moi subtil, précisément en ce qu’il sait échapper aux représentations classiques de la secte. Il s’agit d’un mouvement qui a toujours su se donner les apparences concrètes de la « modération », ou dissimuler ses excès à la société civile lorsque ceux-ci se sont produits. Mais il est en réalité tout aussi violent que les autres sur le plan psychique et intérieur. Pour appréhender ce phénomène, il faudra savoir le penser. Aucune caméra cachée ne livrera la vraie nature de l’Anthroposophie au public. Seule l’intelligence le pourra !

A propos gperra

Professeur de Philosophie
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