L’existence d’un culte secret dans les écoles Steiner-Waldorf

Cela fait partie des choses qu’il est difficile de savoir. Rudolf Steiner n’a pas seulement fondé une école et donné des principes pédagogiques : il a également écrit un rituel spécifique aux écoles Steiner-Waldorf. Ce culte est conçu pour être célébré chaque dimanche par les professeurs Steiner-Waldorf, revêtant pour l’occasion des vêtements cérémoniels. Les parents et les enfants ainsi que les enseignants sont les participants attendus de cette cérémonie, qui doit avoir lieu dans les locaux-mêmes de l’établissement.

En France, la chose demeure autant que possible cachée. Le texte de l’office dominical Steiner-Waldorf est jalousement gardé, afin qu’il ne tombe pas entre des mains impies, mais aussi surtout pour que le grand public ne s’aperçoive pas de l’existence d’un culte qui révélerait la vraie nature de ces écoles. Pour se procurer le texte du culte en question, le professeur Steiner-Waldorf doit écrire à l’école Steiner-Waldorf de Lausanne, qui examinera avec circonspection la requête, comme cela est indiqué dans un ouvrage secret que l’on m’avait confié alors que j’étais encore en poste dans une de ces écoles. Il faut donc passer par la Suisse pour obtenir ce texte, la France ayant été jugée trop peu fiable par les hauts dirigeants Steiner-Waldorf.

Pourtant, ce culte Steiner-Waldorf existe bel et bien, témoignant du fait que ces institutions scolaires ont été conçues davantage comme des « écoles-églises » que comme des lieux d’une pédagogie innovante.

Comment suis-je au courant de l’existence de ce culte, que même une grande partie des professeurs de ces écoles (ceux qui n’appartiennent pas à la Section Pédagogique de l’École de Science de l’Esprit de la Société Anthroposophique) ignorent ? Tout simplement parce que, lors d’un stage dans un Camphill en Irlande à l’âge de 20 ans, j’ai assisté à ce culte anthroposophique, donné par les soignants de cette institution de pédagogie curative aux enfants handicapés dont ils avaient la charge. Et puis, Rudolf Steiner y fait allusion dans les premier volume des Conseils, édités par la Fédération des Écoles Steiner-Waldorf en France. Mais qui, en France, a pris la peine de lire cet ouvrage difficile et volumineux, à part les zélotes des écoles Steiner-Waldorf ?

Il s’agit d’un culte chrétien, ou du moins faisant référence au Christ. Ou plus exactement, à un Christ à la Steiner. Karl König, le fondateur du mouvement  des Camphills, y fait allusion dans son ouvrage intitulé Le Mouvement Camphill (Editions Camphill, 1986) :

« Il est d’une grande importance que, dans tout le Mouvement Camphill, chacun se tourne vers l’Évangile tous les jours. (…) Grâce à ces efforts, les offices dominicaux pour les enfants et les adolescents sont bien préparés. Le texte de ces offices a été donné par Rudolf Steiner à la première École Waldorf de Suttgart et il a été utilisé depuis lors dans bien des écoles Rudolf Steiner, pour des enfants normaux comme pour les handicapés. (…) Nous avons appris à voir le pouvoir de guérison profonde et durable qu’ils ont sur ces enfants. Leurs âmes ont soif d’un vrai contenu religieux et elles le boivent chaque dimanche avec la plus grande ferveur. Tout enfant, si perturbé et retardé soit-il, peut suivre l’office avec son cœur. La préparation que constitue pour les enseignants et les éducateurs la soirée biblique donne une force accrue à cet acte d’adoration chrétienne. » Karl König, Le Mouvement Camphill, Éditions Camphill, 1986, page 42

Personnellement, je n’ai rien contre la culture d’une vie religieuse. En revanche, je m’interroge sur le fait qu’une institution  scolaire puisse vouloir l’intégrer au sein même de ses pratiques pédagogiques et la concevoir comme un élément de formation psychique des enfants. En effet, la religion n’est-elle pas du ressort de la sphère privée ? N’est-elle pas une pratique relevant du domaine de la famille et non de l’école ? Même dans les écoles confessionnelles, on prends soin de distinguer les moments de catéchisme et la participation au culte des cours proprement dits. Ainsi les enfants peuvent savoir lorsqu’il s’agit de religion, qui est une affaire de croyance, et lorsqu’il s’agit d’un cours, qui appartient au domaine du savoir. Cela préserve leur liberté de conscience, conformément à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés (Publiée au Journal officiel du 2 janvier 1960), qui stipule :

« Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances, y ont accès. »

Or le respect de la liberté de conscience des élèves évoqué dans cet article de loi n’est à mon sens  pas respecté dans les écoles Steiner-Waldorf, où la religion anthroposophique imprègne chaque activité pédagogique de manière non-identifiable en tant que telle. La pratique éventuelle d’un culte dominical anthroposophique n’est que la culmination de ce processus diffus, une sorte de cristallisation à un endroit et en un temps précis d’un phénomène dilué de manière moins perceptible dans toute la scolarité des élèves. Le fait que ce culte ne soit pas célébré dans la plupart des écoles Steiner-Waldorf en France actuellement n’atténue donc nullement le problème que nous soulevons. En effet, ce culte secret Steiner-Waldorf n’est que la partie la plus saillante d’un dispositif général où la religion anthroposophique est distillée aux élèves, à travers les « paroles » (stances mantriques de Rudolf Steiner que l’ont fait dire aux élèves chaque matin) et la préparation des « fêtes cardinales » (Saint-Michel, Avent-Noël, Pâques, Saint-Jean, etc.), ou la pratique de la « table des saisons », ou par d’autres moyens encore moins repérables. Karl König est très clair au sujet de la connexion intime entre ce rituel dominical Steiner-Waldorf et les autres rituels, moins visibles en tant tels, pratiqués dans ces institutions scolaires :

« La soirée biblique et l’office dominical étendent leur substance et leur force à d’autres activité : la prière du matin et du soir avec les enfants, les grâces à chaque repas, les chants du dimanche matin et autres usages de ce genre. C’est en particulier le cas de la préparation aux fêtes cardinales : un grand soin est apporté à leur réalisation. Les enfants sont guidés vers Noël à travers le temps de l’Avent et vers Pâques à travers le Carême. (…) Des jeux écrits pour célébrer la Saint Michel, Noël, Pâques et la Saint Jean sont préparés et répétés par les collaborateurs, et les enfants, les adolescents et les adultes prennent part aux représentations. Ces jeux donnent à chaque fête un caractère particulier ; ils ont une action profonde sur l’âme de chaque individu. Ce ne sont pas tant des manifestations artistiques que des actes de foi, un peu comme les Mystères qui étaient joués dans les églises au Moyen-Âge. (…) Cette sphère, cependant, est pénétrée par les nouvelles révélations que Rudolf Steiner a données sur le Mystère du Golgotha. » (page 43)

On ne saurait être plus clair : « ce ne sont pas tant des manifestations artistiques que des actes de foi ». Ce sont donc des actes de foi qui sont demandés aux élèves des écoles Steiner-Waldorf lorsqu’ils sont tenus d’assister aux « jeux de Noël », ou à la « fête de la Saint-Jean », ou d’autres cérémonies similaires, dont il ne leur a jamais été dit, ni à leurs parents, qu’il s’agissait de « Mystères initiatiques », comme le précise Karl König. Leur liberté de conscience est donc bel et bien violée par cette désinformation volontaire.

Pourquoi ne pas dire aux parents qui inscrivent leurs enfants dans ces écoles qu’en acceptant que leurs enfants participent à ces « jeux » et à ces « fêtes » qui ponctuent une scolarité Steiner-Waldorf ordinaire, ceux-ci entrent dans le cadre d’une pratique religieuse, d’une foi anthroposophique, d’un christianisme de Rudolf Steiner ? Ne sont-ils pas en droit d’être informés qu’ils livrent en fait leurs enfants aux mains d’une nouvelle religion, d’une « nouvelle Révélation », comme l’écrit Karl König, dont Steiner est le Prophète ?

Et ce qui m’indigne surtout, c’est que cette pratique cultuelle soit ainsi entourée du sceau du secret, comme une cérémonie initiatique que l’on dissimule aux yeux de la société. Si les écoles Steiner-Waldorf étaient des institutions honnêtes, elles auraient du parler publiquement de l’existence de ce culte, qui est en principe au cœur de leur pédagogie ! Car les parents qui inscrivent leurs enfants dans de telles écoles ont le droit de savoir que leur progéniture intègre en réalité une communauté religieuse liée à l’Anthroposophie. Pourquoi le texte de ce culte Steiner-Waldorf est-il toujours tenu secret, près de 90 ans après la fondation de ces écoles ? Pourquoi n’est-il pas communiqué ouvertement aux parents, ou à toute personne désireuse de s’informer sur la vraie nature de ces écoles qui en ferait la demande ? Pourquoi avoir fait ainsi le choix de vivre dans la dissimulation et dans le mensonge, plutôt que dans la transparence et la clarté ?

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Professeur de Philosophie
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